Rapport : La publicité sur les sites de mésinformation

Les grandes marques versent chaque année 2,6 milliards de dollars à des sites de mésinformation, rapportent NewsGuard et Comscore

Une analyse des données de publicité programmatique réalisée par NewsGuard et Comscore révèle que les pourvoyeurs de mésinformation récoltent des milliards de dollars de revenus publicitaires annuels auprès de grandes marques.

Par Matt Skibinski Directeur général, NewsGuard

Le journalisme est en difficulté dans le monde entier – avec des rédactions qui réduisent leur personnel, ferment leurs portes ou se battent pour rester à flot.

Mais une nouvelle analyse de NewsGuard et Comscore montre que la mésinformation est, elle, en plein essor – avec 2,6 milliards de dollars de revenus publicitaires estimés versés aux diffuseurs de mésinformation et de désinformation chaque année par les annonceurs programmatiques, y compris des centaines de millions de dollars de revenus soutenant les fausses allégations sur la santé, les mythes anti-vaccins, les infox électorales, la propagande partisane et d’autres fausses informations.

Ces données soulignent l’ampleur du financement involontaire de la mésinformation et de la désinformation en ligne par les grands annonceurs, qui placent leurs publicités sur des milliers de sites en utilisant la publicité programmatique, un processus compliqué et informatisé qui laisse les marques dans le flou quant aux endroits où leurs publicités apparaissent et aux types de messages qu’elles financent.

Cette analyse a été réalisée en combinant les données de NewsGuard, une organisation qui s’appuie sur des journalistes pour analyser la mésinformation en ligne, et de Comscore, une société qui mesure l’audience, le trafic et les paramètres publicitaires de dizaines de milliers de sites web. NewsGuard et Comscore ont utilisé un échantillon de 7.500 sites dont le trafic et les coûts publicitaires sont mesurés par Comscore, ainsi qu’une base de données de plus de 6.500 sites d’information et d’actualité dont la crédibilité est évaluée par NewsGuard, en croisant les données pour estimer les dépenses publicitaires numériques versées aux sites de la base de données jugés comme non fiables par NewsGuard.

En croisant ces données avec la liste de milliers de fournisseurs de contenu numérique qui publient de façon répétée de fausses informations, NewsGuard et Comscore ont estimé que 1,68% des dépenses publicitaires de l’échantillon de 7.500 sites avait financé des fournisseurs de mésinformation.

Si l’on applique ce chiffre au secteur mondial de la publicité programmatique, qui représente 155 milliards de dollars, cela équivaudrait à des dépenses publicitaires mondiales estimées à 2,6 milliards de dollars pour les sites de mésinformation chaque année.

À l’heure actuelle, aucune entité n’est en mesure de déterminer le montant exact de la publicité qui se retrouve sur des sites de mésinformation. Les plateformes numériques qui contrôlent une grande partie du marché publicitaire ne rendent pas publiques leurs données sur le montant des recettes publicitaires qu’elles distribuent chaque année à des sites d’infox. Comscore et NewsGuard ont uni leurs forces pour rendre cette estimation possible sans avoir accès aux données contrôlées par ces grandes plateformes numériques.

Aux États-Unis, le plus grand marché de publicité programmatique, avec une prévision de 96,89 milliards de dollars de dépenses en publicité programmatique numérique en 2021, selon eMarketer, cette analyse estime que les annonceurs dépensent 1,62 milliard de dollars pour placer des publicités sur des sites de mésinformation. À titre de comparaison, le total des publicités numériques dans l’ensemble des journaux américains s’élevait à environ 3,5 milliards de dollars en 2020, selon les données du Pew Research Center – ce qui suggère que pour 2,16 dollars de revenus publicitaires numériques envoyés à des journaux fiables, les annonceurs américains envoient 1 dollar aux sites de mésinformation.

Ce rapport fait suite à de nombreuses révélations récentes sur l’ampleur stupéfiante du soutien par inadvertance des annonceurs à la mésinformation via leurs revenus publicitaires. Un rapport de NewsGuard publié plus tôt cette année a révélé que plus de 4.000 grandes marques avaient diffusé des publicités sur des sites publiant des infox sur le COVID-19. Un autre rapport de NewsGuard a révélé que 1.668 grandes marques avaient placé des publicités sur des sites publiant de fausses informations sur les élections dans la période précédant et suivant l’élection présidentielle américaine de 2020, et ayant mené aux événements violents du Capitole, le 6 janvier 2021.

L’une des mesures du succès des sites d’information non fiables est leur prévalence parmi les sites générant le plus d’engagement en ligne. NewsGuard a évalué et fourni des Étiquettes Nutritionnelles pour les sites d’actualité et d’information qui représentent 95% de l’engagement en ligne aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne, en France et en Italie. Sur ces 6.513 sites, 40,21% obtiennent une évaluation Rouge de NewsGuard car ils sont généralement peu fiables. Les consommateurs d’informations sont invités à “faire preuve de prudence” lorsqu’ils accèdent à ces sites. Comme expliqué ci-dessous, ces sites figurent sur des listes d’“exclusion” constamment mises à jour que NewsGuard met à la disposition des annonceurs afin qu’ils puissent demander à leurs agences publicitaires et à leurs partenaires d’exclure leurs publicités programmatiques de ces sites. 

Rendre la mésinformation moins lucrative

Il est important de noter que les responsables marketing de nombreuses marques qui soutiennent la mésinformation par leurs placements publicitaires ne le font pas intentionnellement. Les placements publicitaires sont effectués automatiquement par les algorithmes des plateformes publicitaires numériques. Les outils proposés par les sociétés de vérification publicitaire traditionnelles, conçus pour protéger les marques contre les placements publicitaires inadaptés, sont efficaces pour détecter et bloquer les publicités sur les contenus pornographiques, violents et haineux. Mais ces sociétés de vérification sont largement inefficaces pour détecter la mésinformation, qui ressemble souvent à du contenu d’actualité ordinaire et ne peut être identifiée par l’intelligence artificielle.

L’analyse de NewsGuard et Comscore suggère que cette lacune dans la sécurité des marques explique en grande partie pourquoi tant de sites publiant des infox et de fausses informations parviennent à générer des revenus et des modèles économiques à succès. Leurs articles ont tendance à générer un engagement important en ligne – et les articles contenant de fausses informations sont souvent promus par les algorithmes des réseaux sociaux qui sont conçus pour maximiser l’engagement et les revenus publicitaires, et non l’exactitude et la sécurité des consommateurs en ligne. L’estimation de 2,6 milliards de dollars de recettes publicitaires allant à ces sites montre que la mésinformation est une activité lucrative – et que la réduction ou l’élimination de la publicité involontaire qui soutient ces sites supprimerait une de ses sources de revenus essentielle. 

Les pourvoyeurs d’infox peuvent produire des fausses informations à faible coût, qu’elles soient ou non inexactes ou préjudiciables, et s’en servir pour faire concurrence en ligne aux médias fiables qui dépensent des millions de dollars pour payer leurs journalistes, éditeurs et fact-checkeurs pour produire un contenu vérifié. En d’autres termes, comme la mésinformation ne coûte pas cher à produire, un dollar publicitaire dépensé pour la mésinformation contribue davantage à la production de fausses informations qu’un dollar publicitaire dépensé pour des médias fiables contribue à la production d’un journalisme crédible.

Alors, que peuvent faire les marques, les agences et les sociétés de technologies liées à la publicité digitale?

Il n’y a pas de solution miracle au problème de la mésinformation et, jusqu’à récemment, il n’y avait pas de moyen simple pour les annonceurs de s’assurer que leurs publicités ne soutenaient pas la mésinformation et les infox. NewsGuard a commencé à mettre en œuvre deux stratégies clés au service des marques et des agences partenaires qui peuvent aider à résoudre le problème.

Premièrement, le déploiement de l’intelligence humaine sous la forme de journalistes formés, plutôt que d’algorithmes d’intelligence artificielle, peut être une méthode plus efficace pour détecter et éviter les sites de mésinformation. C’est ce que NewsGuard a commencé à faire avec de grandes marques. NewsGuard fournit des listes d’exclusion de sites non fiables, ce qui permet aux annonceurs, pour la première fois, de demander à leurs agences publicitaires et à leurs partenaires dans le secteur de ne pas diffuser leurs publicités programmatiques sur ces sites.

Deuxièmement, les marques peuvent se concentrer sur l’élargissement de la gamme de sites d’information fiables et crédibles sur lesquels elles diffusent leurs publicités. NewsGuard propose des listes d’inclusion de sites d’actualité et d’information de grande qualité que les annonceurs peuvent utiliser pour atteindre leur public cible. Ces listes d’inclusion comprennent des publications de haute qualité qui traitent de l’actualité locale ainsi que des publications destinées aux communautés noires, hispaniques, asiatiques, LGBTQ+ et autres communautés médiatiquement marginalisées. Une étude de cas récente a montré que cette approche, consistant à établir une liste d’inclusion de sites d’actualité de confiance, permet de réduire le CPM (coût pour mille impressions) des campagnes publicitaires, d’en élargir la portée et d’augmenter le taux de clics de 143%, simplement en développant la publicité sur des sites d’actualité crédibles.

Les annonceurs qui souhaitent en savoir plus sur ces approches et sur la manière de les mettre en œuvre peuvent cliquer ici.