Misinformation Monitor : Janvier 2021

Bienvenue dans le “Misinformation Monitor” de NewsGuard, une newsletter qui suit l’évolution de la mésinformation avec des données exclusives en provenance de cinq pays.

Par Virginia Padovese

Chine Labbé, Marie Richter, Gabby Deutch et Bron Maher ont également contribué à ce rapport.


Les intox sur les violences au Capitole et sur l’investiture de Joe Biden se répandent largement sur des sites d’intox bien connus en Europe  

Capture d’écran d’un article publié sur Breizh-Info.com, comparant les manifestations du Capitole à un “Printemps américain”.

Dans le sillage de l’envahissement violent du Capitole, le 6 janvier aux Etats-Unis, deux semaines avant l’inauguration du président Joe Biden, la mésinformation sur cet événement s’est répandue en Europe. Plusieurs sites européens qui avaient auparavant relayé des théories du complot QAnon et de fausses allégations sur l’élection présidentielle américaine ont surfé sur cet événement, affirmant, comme l’ont fait aux Etats-Unis des chroniqueurs de droite, des sites de mésinformation, et certains hommes politiques, que c’est en fait l’ultra-gauche qui était derrière les violences. Parmi ces sites, nombreux sont ceux qui ont également continué à publier des intox sur l’élection américaine, jusqu’aux heures précédant l’investiture de Joe Biden, et même pendant celle-ci.

Dans le détail :

  • L’affirmation selon laquelle des antifas, c’est-à-dire des activistes de gauche, étaient en fait derrière les violences du Capitole, a été très reprise en ligne en Europe, sur des sites de mésinformation comme sur les réseaux sociaux, même si la source de cette intox a par la suite officiellement corrigé son article.
    • Le lendemain des manifestations violentes au Capitole, le site français d’extrême droite RiposteLaique.com – évalué Rouge par NewsGuard, c’est-à-dire globalement peu fiable – écrit que ces manifestations se déroulaient dans une ambiance bon enfant jusqu’à ce que des antifas se faisant passer pour des supporters de Trump pénètrent dans le cortège. Il s’avère, et les preuves commencent à tomber des États-Unis, que ce sont des milices antifas qui ont infiltré le cortège, affirme le site. 
    • Quelques jours plus tard, DataBaseItalia.it, un site italien évalué Rouge par NewsGuard, et qui relaie souvent des théories du complot QAnon, écrit : C’étaient des terroristes antifas, et non pas des supporters de Trump, qui, se sont précipités vers le Capitole, et ont tenté de provoquer une émeute.  Un autre site évalué Rouge par NewsGuard, MaurizioBlondet.it, publie des vidéos des manifestations, avec ce commentaire : Des casseurs antifas prétendant être des ‘patriotes’ attaquent le Capitole. Pas très convaincant
    • En Allemagne, EpochTimes.de, un site évalué Rouge par NewsGuard, a repris un article du Washington Times article affirmant qu’une société de reconnaissance faciale appelée XRVision aurait repéré des activistes antifas parmi les manifestants du Capitole. XRVision a par la suite démenti cette allégation, et l’article du Washington Times présente désormais une correction. La version allemande d’Epoch Times, un site conservateur fondé par des proches du mouvement spirituel chinois Falun Gong, a aussi publié la correction du Washington Times, et présenté ses excuses à ses lecteurs — mais seulement après que l’article eut atteint près de 900.000 utilisateurs sur Facebook et Twitter, selon les données de CrowdTangle.
    • Au Royaume-Uni, le site du complotiste David Icke a aussi repris l’article du Washington Times. Mais l’article de DavidIcke.com n’a pas été corrigé. 
  • En France, des sites peu fiables et des commentateurs ont vu dans cet événement les prémices d’un Printemps américain – en référence aux printemps arabes – et ont prévenu qu’un soulèvement populaire violent pourrait aussi arriver en Europe.
    • Le 7 janvier, le site d’extrême droite Breizh-Info.com, écrit : Va-t-on vers un printemps américain ? Il semblerait en effet que l’événement d’hier soir, historique, témoigne de deux Amérique qui ne veulent/peuvent définitivement plus vivre ensemble. Un avant goût de l’Europe d’ici quelques années ?
    • Trois jours plus tard, le site Dreuz.info se demande si l’envahissement du Capitole n ‘est pas l’acte premier d’une révolution en cours. Que se passe-t-il lorsque le jeu démocratique ne fonctionne plus ? (…) L’impossibilité de s’exprimer par les urnes conduit nécessairement à la guerre civile, dont la prise du Capitole est l’acte premier.
  • Dans les jours et heures qui ont précédé l’investiture de Joe Biden à la présidence des Etats-Unis, et même juste après son investiture, de fausses informations sur un scrutin qui aurait été volé à Donald Trump, ont continué à se propager en Europe.
    • La veille de son investiture, le site italien UnUniverso.blog publie un article qui affirme que Joe Biden a été arrêté, et que la cérémonie n’aura pas lieu. Il restera en détention provisoire jusqu’à une audience sur sa détention, vendredi, assure l’article. Moins d’une semaine avant cette investiture, le blogueur italien Cesare Sacchetti, propriétaire du site LaCrunaDellAgo.it — jugé peu fiable par NewsGuard – avait tweeté : l’armée (américaine) est toujours loyale à Trump, suggérant que cela constituerait un problème majeur pour le mondialisme car l’armée pourrait lui rester loyale, même après son départ. La preuve avancée par Cesare Sacchetti était un article provenant du site américain complotiste RealRawNews.com, qui affirme à tort que le commandant des Marines américains a accusé Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants, de trahison.
    • Le jour de l’investiture, en Allemagne, EpochTimes.de publie un article qui dit que “l’analyse des résultats est loin d’être terminée et que le scrutin a été “influencé par l’Italie. En réalité, l’intégrité de l’élection américaine a été confirmée par les gouverneurs et les secrétaires d’Etat des 50 États américains, et par les représentants du collège électoral.
    • Dans les heures précédant l’investiture de Joe Biden, un auteur sur le site français Dreuz.info – évalué Rouge par NewsGuard –  écrit : “Je ne regarderai pas la cérémonie. Elle sera une hideuse imposture (…) toutes les institutions du pays ont failli”. Le jour de l’investiture, le site QAnon français QActus.fr qualifie cet événement d’“illusion”, et continue à affirmer que Donald Trump, qui est au cœur des théories du complot QAnon, restera au pouvoir. 

Pourquoi c’est important : Des épisodes de violence dans le monde réel nourris par la mésinformation en ligne pourraient bien se produire en Europe aussi. Certains sites français de mésinformation bien connus mettent déjà en garde contre cette possibilité. En Allemagne, les images des émeutes au Capitole ont rappelé les événements de Berlin, quand, en août dernier, des centaines de personnes manifestant contre les mesures prises par le gouvernement allemand pour juguler la pandémie de COVID-19, ont tenté de prendre d’assaut le Reichstag. (La police les en a empêchés). Avant cette manifestation, des activistes de droite avaient utilisé des messageries électroniques et les réseaux sociaux pour diffuser l’intox selon laquelle des soldats américains et russes étaient à Berlin pour contribuer au renversement du gouvernement allemand. Pendant la manifestation, une autre intox est apparue, selon laquelle le président Donald Trump en personne était en ville. 


Dans les jours qui ont précédé l’investiture de Joe Biden aux Etats-Unis, une nouvelle intox sur l’élection a émergé : #ItalyDidIt (#L’ItalieL’aFait)

Capture d’écran d’un tweet posté le 7 janvier 2021 sur le compte Twitter BlueSkyReport.

Début janvier, une nouvelle intox sur l’élection présidentielle américaine a été largement diffusée sur les réseaux sociaux, avec le hashtag #ItalyDidIt (#L’ItalieL’aFait) et #ItalyGate.

D’après cette théorie, un expert d’une société de technologie qui travaillait auparavant pour Leonardo Spa, une société italienne dans le domaine de l’aérospatial, de la défense et de la sécurité, a orchestré le transfert illégal de votes de Donald Trump vers Joe Biden pendant l’élection américaine.  

Une allégation similaire, qui s’appuie sur une vidéo de 52 minutes dans laquelle Maria Strollo Zack — présidente de “Nations in Action” (Nations en action), une organisation qui défend les familles, d’après son site — affirme, sans aucune preuve, que des votes ont été transférés de Donald Trump à Joe Biden dans l’ambassade américaine à Rome. Selon Maria Strollo Zack, l’ancien président américain Barack Obama et l’ancien Premier ministre italien Matteo Renzi sont impliqués dans un complot visant à truquer l’élection. 

  • Un tweet publié le 7 janvier 2021 par BlueSky Report, un compte américain créé en octobre 2020 et qui a plus de 39.000 abonnés, affirme : “L’Italie a interféré dans l’élection américaine.  Regardons d’abord qui sont les personnes potentiellement impliquées. Obama et l’ancien Premier ministre italien Renzi. L’affaire continue d’évoluer”. Ce tweet a été retweeté environ 6.000 fois.
  • LaCrunaDellAgo.net, le blog du journaliste italien Cesare Sacchetti, évalué Rouge par NewsGuard, et connu pour diffuser des théories du complot QAnon, a publié un article sur cette affaire, qui conclut : “Si nous voulons trouver la clef de ce coup international particulièrement élaboré, nous devons regarder dans la direction de Rome”. 
  • Dans un article intitulé : “Elections américaines : tous les chemins mènent à Rome”, le site français Geopolintel.fr reprend la même idée. 
  • Le site allemand EpochTimes.de a également promu cette intox et écrit: le scrutin a été “influencé par l’Italie”. Le site a répété cette allégation le jour de l’investiture, après que Donald Trump a quitté la Maison Blanche pour la dernière fois. 
  • Certains sites américains ont également repris ce récit — mais étonnement, le site TheGatewayPundit.com, un super propagateur d’intox qui a publié des centaines d’articles sur une fraude présumée, s’est, lui, montré sceptique, et a écrit : “La présumée intervention italienne dans l’élection de 2020 ne tient pas la route quand on l’examine de près”. 

Pourquoi c’est important : L’Italie n’est pas le premier pays européen à être présenté comme un complice dans une intox sur l’élection américaine. En novembre et décembre 2020, une fausse allégation a affirmé que les preuves d’un transfert illégal des votes avaient été hébergées sur les serveurs d’une société espagnole et saisies par l’armée américaine à Francfort, en Allemagne. Les producteurs américains de fausses informations ont à leur disposition des lecteurs européens prêts à sauter sur toute opportunité de répandre des intox sur la politique américaine, même si elles impliquent leur propre pays.