Rapport : Les publicités qui financent la mésinformation sur le COVID-19

Des milliers de marques parmi les plus connues au monde — dont Pepsi, Starbucks, Marriott– ont financé la mésinformation sur le COVID-19, notamment sur des sites de propagande russe et chinois. 

Une analyse de données relatives à la publicité digitale programmatique montre que plus de 4.000 marques ont acheté des espaces publicitaires sur des sites de mésinformation publiant des intox sur le COVID-19 depuis le début de la pandémie, y compris de nombreuses compagnies – comme Pfizer et 105 systèmes hospitaliers et assureurs médicaux aux Etats-Unis – qui sont impliquées dans l’effort vaccinal contre le COVID-19. 

Par Matt Skibinski, directeur général de NewsGuard

Traduit par Chine Labbé

Dès que le COVID-19 a commencé à se répandre dans le monde l’année dernière, la mésinformation sur cette pandémie a, elle aussi, commencé à se diffuser sur internet. L’Organisation mondiale de la Santé a qualifié d’“infodémie” ce phénomène — la diffusion massive, sur les réseaux sociaux et sur des centaines de sites peu fiables, de centaines d’intox dangereuses allant de théories du complots sur l’origine du virus à de faux remèdes contre la maladie, en passant par des mythes sur les vaccins.

Un an plus tard, alors que la campagne de vaccination prend de l’ampleur dans le monde entier, l’impact de cette mésinformation est plus clair que jamais. Une étude de la London School of Hygiene and Tropical Medicine a mis en lumière un fort déclin de la disposition des patients à se faire vacciner contre le COVID-19 après que ceux-ci ont été confrontés à de fausses informations sur la maladie – c’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles certains hôpitaux voient de nombreux personnels médicaux refuser le vaccin

L’année dernière, l’OMS a demandé à ses membres de faire un effort pour lutter contre la mésinformation sur le COVID-19, poussant un grand nombre d’institutions et de sociétés à lancer des initiatives en ce sens. 

Mais une analyse de données liées à la publicité digitale programmatique – qui permet aux entreprises de diffuser leurs publicités sur internet en fonction des public ciblés, en temps réel – montre un décalage entre ces efforts bien intentionnés, et les campagnes de publicité programmatique que ces mêmes compagnies et institutions financent. Tout au long de la pandémie, de nombreuses marques parmi les plus connues et respectées ont soutenu financièrement la mésinformation sur le COVID-19, en plaçant des milliers de publicités programmatiques sur des sites qui ont diffusé des intox et des théories du complot sur la pandémie, sapant ainsi les efforts de santé publique menés par ailleurs. 

Depuis février 2020, 4.315 marques ont placé plus de 42.000 publicités sur des sites repérés par NewsGuard pour avoir publié des intox sur le COVID-19, et recensés dans notre Centre de suivi de la mésinformation sur le coronavirus, représentant sans doute des dizaines de millions d’impressions publicitaires.

Dans la plupart des cas, les publicités étaient sans doute placées là de manière involontaire, via des algorithmes d’achat de publicité programmatique sur des plateformes comme DV360 de Google. Mais les données montrent la vaste étendue du problème, à savoir que les publicités programmatiques soutiennent l’écosystème de mésinformation en ligne. Elles montrent aussi à quel point des mesures prises par les plus grandes sociétés pourraient porter un coup à la portée de la mésinformation en ligne. 

Des sociétés qui luttent contre le COVID-19 alimentent la mésinformation sur le sujet

Notre analyse, qui combine les données issues du Centre de suivi de la mésinformation sur le coronavirus de NewsGuard, et les données de Moat Pro, révèlent qu’un vaste éventail de marques, dans quasiment tous les plus grands secteurs, ont diffusé des publicités sur des sites de mésinformation sur le COVID-19, avec 2.346 des 4.315 marques qui ont diffusé des publicités sur plus d’un site de ce genre.  

Les publicitaires, les agences et les sociétés d’ad tech qui souhaitent avoir accès à l’ensemble du jeu de données peuvent demander un accès à ces données ici.  

Des sociétés directement impliquées dans l’effort de vaccination contre le COVID-19 figurent parmi celles qui ont financé des sites de mésinformation sur le COVID-19. Cette analyse a trouvé que 105 assureurs et fournisseurs médicaux américains – parmi lesquels Stanford Health Care, Emory Healthcare, Northwell Health, RWJ Barnabas, Oscar Health Insurance, United Healthcare, Beaumont Health, the University of Pittsburgh Medical Center, New York Presbyterian et la Mayo Clinic— ont placé des publicités sur de sites publiant des intox sur la pandémie. Parmi ces sites figurent WorldTruth.TV, qui a affirmé que le vaccin contre le COVID-19 contiendrait une micropuce de surveillance, TheGateWayPundit.com, qui a relayé les allégations selon lesquelles Anthony Fauci empocherait “des millions” grâce au déploiement d’un vaccin contre le COVID-19, et les masques de protection seraient dangereux, ou encore IntelliHub.com, qui a affirmé que le vaccin modifierait l’ADN des patients. 

Pfizer, qui fournit l’un des vaccins contre le COVID-19, et Merck, qui a arrêté il y a peu ses efforts de développement d’un vaccin, figurent également dans la liste de publicitaires qui ont placé des publicités sur des sites de mésinformation sur le COVID-19 comme NOQReport.com, un site qui a partagé de nombreuses intox, notamment celle selon laquelle la pandémie aurait été planifiée par Bill Gates et d’autres milliardaires, et TheEpochTimes.com, qui a affirmé que le virus aurait été créé par l’Homme.

Même les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), la principale agence de santé publique aux Etats-Unis, ont financé des sites de mésinformation sur le COVID-19, via la publicité programmatique, en plaçant des publicités appelant les Américains à se faire vacciner contre la grippe sur GlobalTimes.cn, un site de propagande chinois qui ne révèle pas être financé et géré par le parti communiste chinois, et qui a rapporté que le virus trouvait son origine en Europe. Le CDC a aussi placé des publicités sur des sites américains de mésinformation, parmi lesquels IndependentSentinel.com, un site qui a affirmé, entre autres intox, que porter un masque de protection augmentait le risque de contracter le COVID-19, et qu’un régime de zinc et d’antibiotiques permettait de “guérir” du COVID-19. (D’autres marques très connues comme Starbucks, Acura, Pepsi, et Marriott ont aussi placé des publicités sur IndependentSentinel.com). 

La liste des publicitaires qui ont financé la mésinformation sur le COVID-19 comprend aussi des sociétés qui participent à la distribution de vaccins. Par exemple, Kroger, qui distribue des vaccins dans ses magasins aux Etats-Unis, a placé des publicités sur plus d’une dizaine de sites de mésinformation sur le COVID-19, comme IntelliHub.com, un site qui a affirmé à tort que les vaccins contre le COVID-19 allaient modifier l’ADN des personnes vaccinées, et pourraient avoir pour conséquence que ces personnes aient une forme de COVID chronique pour toute la vie. 

Walmart, qui figurera sans doute parmi les distributeurs des vaccins contre le COVID-19 aux Etats-Unis, et qui a récemment annoncé avoir lancé sa propre plateforme publicitaire, a placé des publicités sur 25 sites de mésinformation sur le COVID-19, dont le site de propagande russe SputnikNews.com.

Des groupes de médias, qui cherchent à fournir des informations fiables sur la pandémie, figurent aussi parmi ceux qui ont involontairement placé des publicités sur des sites de mésinformation sur le COVID-19, qu’ils ont donc financés. Comcast, un groupe de médias américains, a ainsi placé des publicités pour ses chaînes MSNBC, NBC, Universal, et pour ses produits haut débit sur 14 sites de mésinformation sur le COVID-19, dont CharlieKirk.com, qui a publié de fausses allégations sur l’hydroxychloroquine, et qui a décrit le COVID-19 comme un “délire psychotique”, et disrn.com, un site qui a affirmé que le virus responsable du COVID-19 avait été créé par l’Homme dans un laboratoire.

ViacomCBS, qui gère CBS News, a placé des publicités sur 29 sites de mésinformation sur le COVID-19, dont le site de propagande russe SputnikNews.com et AltHealthWorks.com, un site qui a publié des intox sur les vaccins, et qui a affirmé qu’il était dangereux de porter des masques de protections

Des fournisseurs de téléphonie mobile ont financé des sites affirmant que la 5G provoque le COVID-19 

L’une des intox les plus persistantes sur le COVID-19 est l’idée selon laquelle la pandémie aurait été causée ou exacerbée par la technologie 5G. En avril 2020, après que de nombreuses tours 5G ont été vandalisées au Royaume-Uni, OfCom, le régulateur des télécoms au Royaume-Uni, a publié des données montrant que plus de la moitié de la population britannique avait été confrontée en ligne à des intox sur le COVID-19, le récit le plus fréquent étant l’idée que la pandémie était liée à la 5G. 

Cependant, alors même que cette fausse allégation se diffusait largement en ligne, avec des conséquences dans la “vie réelle” – de nombreux fournisseurs de téléphonie mobile plaçaient des publicités sur des sites publiant des intox sur le COVID-19, notamment sur un lien présumé avec la 5G.

Par exemple, Verizon a placé des publicités sur 35 sites de mésinformation sur le COVID-19, dont WorldTruthTV.com, qui a relayé la fausse allégation selon laquelle les cartes de circuits 5G seraient marquées avec le code “COV-19”, ce qui prouverait que la 5G cause la maladie, mais aussi d’autres intox comme l’idée que le virus aurait été breveté par une organisation liée à Bill Gates

AT&T, Sprint, Boost Mobile, et Motorola ont aussi placé des publicités sur des sites de mésinformation sur le COVID-19, notamment sur des sites comme EnergyTherapy.Biz, qui a relayé une intox sur la 5G.

Les sites de mésinformation sur la santé dépendent de la publicité programmatique

La grande majorité des 405 sites identifiés par l’équipe de NewsGuard comme ayant diffusé des intox sur le COVID-19 – plus de 80% – sont des multirécidivistes, ce qui signifie qu’ils avaient déjà été identifiés auparavant comme publiant de fausses informations sur la santé. 

NaturalNews.com, le site le plus connu d’un réseau qui rassemble plusieurs centaines de sites de mésinformation sur la santé, a hébergé des publicités d’un vaste éventail de marques durant la pandémie, dont Stevia et Saucony. 

Des sociétés comme Berkshire Hathaway et Vimeo ont placé des publicités sur DavidIcke.com, un site connu pour avoir relayé de nombreuses fausses informations sur la pandémie, notamment l’idée que le vaccin contre le COVID-19 modifierait l’ADN des patients, et l’idée qu’il ne s’agit en fait pas d’un vaccin, ainsi que d’autres intox anti-vaccins

GlobalResearch.ca, un site qui a fait la promotion de nombreuses théories du complot sur les origines du virus, a reçu des publicités de 131 marques, dont Wayfair, Unilever, Adobe, et 3M.

Trouver une solution 

Ces données montrent que le problème de la publicité sur les sites de mésinformation – notamment sur des sites de mésinformation sur le COVID-19 et sur d’autres sujets liés à l’effort global de vaccination en cours -n’est pas limité à une seule marque, ni à une industrie, ni même à une categorie de sociétés. 

Les marques qui financent la mésinformation sur le COVID-19 se trouvent dans pratiquement chaque secteur. Et une récente analyse de NewsGuard a montré que le même problème existait concernant d’autres formes de mésinformation, notamment les intox sur les élections et le processus de vote, qui ont pollué l’élection présidentielle américaine de 2020. 

La plupart des marques placent des publicités via des plateformes de publicités programmatiques qui utilisent des algorithmes pour déterminer quelles pages web atteindront la population cible. Pour le dire autrement, les marques ne savent pas où elles placent leurs publicités.  

Les plateformes publicitaires de Google, DV360 et DoubleClick, font partie des plateformes les plus utilisées par les marques quand elles placent des publicités sur des sites de mésinformation : 67% de tous les sites de mésinformation sur le COVID-19 identifiés par NewsGuard comme ayant reçu des publicités portaient des tags publicitaires de Google, et 30% portaient des tags du Trade Desk, une vaste plateforme publicitaire. 

Cela signifie que les marques seules ne peuvent sans doute pas mettre un terme à ce phénomène de placement de publicités sur des sites de mésinformation. Mais un engagement en ce sens de la part des marques pourrait faire avancer les choses. 

Par ailleurs, cela signifie que si les plateformes publicitaires fournissaient des outils permettant d’éviter facilement les sites de mésinformation au moment de placer des publicités, le modèle économique de cette mésinformation serait profondément atteint, réduisant l’intérêt, pour les colporteurs d’intox, d’en faire la promotion.  

Note : NewsGuard vend des licences d’accès aux données concernant la crédibilité des sites d’information et d’actualité utilisées dans ce rapport pour des projets de recherche, commerciaux et gouvernementaux. Les chercheurs, régulateurs, publicitaires, et sociétés technologiques qui souhaitent accéder aux données utilisées dans ce rapport peuvent en faire la demande ici